Les mots du bureau : «: Il faut incentiver à mort.: »Alexandre des Isnards - 5 août 2019

Motivés, motivés, il faut rester motivés ? Non car il faut dire : «: incentivés.: » Voici pourquoi.

«: On va incentiver les adhérents d’assurances a prendre soin de leur santé. Bonus à la clef.: » twitte Isabelle Gayrard, rédactrice pour le portail de santé Medisite.fr. «: Comment « incentiver » les managers à innover ?: » twitte Talentis, une agence de coaching de dirigeants.

Dans le temps, les choses étaient plus simples

On est dérouté de voir cet anglicisme s’immiscer ainsi en entreprise et remplacer les verbes inciter, stimuler, motiver. Aujourd’hui, on incentive tout : ses collaborateurs par des activités de team building, ses commerciaux en les associant au résultat des ventes, ses clients en les incitant à participer à un jeu concours par une dotation. L’incentive, c’est la carotte en échange de l’effort. Les start-ups proposent des bons de souscription au capital à leurs collaborateurs en vue, qui, en échange, s’investissent à fond malgré un maigre salaire et un poste précaire. Les clients consentent à donner leurs données en échange d’un bon de réduction. Etc. Don contre don. Tout marche ainsi.

Mais est-il plus efficace de dire incentiver au lieu de stimuler ou motiver ? Oui. Et c’est bien pour cela que le terme se déploie. Motiver est bien trop marqué depuis que Zebda en a fait un tube de rap sur fond de chant des partisans. Quant au verbe stimuler, il sonne cynique et libidineux. Alors qu’incentiver, comme tous les termes anglo-saxons, fait efficace et pro. Il est d’ailleurs devenu le terme officiel d’un secteur de l’économie : celui de la motivation. Et Patrick Funet, président d’Orméo, une agence événementielle indépendante, l’affirme dans Le Nouvel Economiste : « Le marché de l’incentive se porte bien. »

Si le terme incentive se déploie aussi bien que son marché, c’est que les entreprises sont en quête de désir. Aucune activité ne s’accomplit sans motivation, aucun achat sans désir. Or, aujourd’hui, il y a pénurie. Tout nous sollicite, incite, excite jusqu’à saturation. Les gisements de désir des collaborateurs et consommateurs se tarissent. Devant cette vaste débandade, les « incentivers » sont les activateurs ultimes de nos désirs.

Chronique parue dans la revue Management, numéro 266, août 2018