Les mots du bureau : « On se voit en mode présentiel ? »Charles de Saint Remy - 6 août 2019 - [ ]

Aujourd’hui, on peut être présent sans être présent physiquement. D’où ce pléonasme qui, en fait, n’en est pas un. Explication.

Première prise de contact entre deux entrepreneurs et la potentielle rédactrice de leur site. L’échange est fructueux, ils sont conquis. Mais à la fin, la rédactrice demande à les rencontrer. « Vous voulez dire… en mode présentiel ? » s’étonne l’un deux. Sans connaître l’expression, la rédactrice a compris et répondu oui. Le terme est sans ambigüité, il contient le mot présence. Quant à l’entrepreneur, le fait de dire en mode présentiel indique sa surprise. Se voir lui paraît incongru, superflu. Lui et son associé font tout à distance, ils n’ont même pas de bureau. La rencontre « en mode présentiel » se fera dans leur coworking.

Une réunion en mode distanciel sans PowerPoint.

Pourquoi dire « en monde présentiel » alors que l’on peut dire « se voir » ? L’expression nous vient du monde des formations. Avant, les organismes proposaient des formations sur place ou par correspondance. Aujourd’hui, ils offrent des formations en mode présentiel ou distanciel. C’est bien plus clair. @AdeccoTraining demande d’ailleurs à ses clients leur préférence : « Vous préférez que votre formation soit 100% présentielle ? Mixte (Présentiel et web) ? 100% à distance (web) ? » Question polémique. D’un côté, CSPFormation « (met) au défi de trouver une formation ‘prise de parole en public’ en 100% e-learning véritablement impactante. » De l’autre, O’clock, qui forme des développeurs,‏ pense « qu’on peut se former avec le même niveau de proximité et d’interaction qu’en présentiel, voire plus ! » Question d’époque surtout. Le terme présentiel se répand à mesure que nos présences se digitalisent. Se voir de visu n’est plus un pléonasme, c’est devenu une option. Ou un luxe que l’on met en avant: « Et quand on peut le faire en présentiel avec un conseiller Orange Bank, c’est encore mieux… » Le contact direct recule d’un cran. On converse par SMS, on drague par IM, on assiste à des meetings politiques par hologrammes. Home working, conf call, tutoriels, brainstorming virtuels,… la présence ne fait plus sens.

Chronique parue dans la revue Management, numéro 268, octobre 2018